Les deux dernières semaines vécues par Paolo furent les plus étranges et les plus éprouvantes qu'il n'avait jamais vécu. Plongé en plein coeur de la jungle colombienne, il s'était isolé du monde pour s'adonner à son vice le plus récent et le plus dévastateur, la cocaïnomanie.
Aussi, bercé par les remous imaginaires du parquet de sa pagode, l'effondrement de celle-ci ne fit pas grand-effet au Colombien qui, complètement drogué, s'imaginait un raid aérien orchestré par les Américains pour le détruire une bonne fois pour toute. En sortant quitte pour quelques poutres dans la gueule et un mal de tête acerbé par la drogue et ses effets secondaires, il en fut bien moins sauf lorsque l'onde de choc commença son processus mutatif. En effet, pendant plusieurs journées (étaient-ce des semaines ?), il resta prostré, en position foetale et soutenu par pan de mur sur lequel il écrasait sa tête dans un rythme non moins soutenu.
Enfin, le plus dur était derrière lui, crut-il, avant qu'il n'apprenne l'immense hécatombe provoquée par l'onde de choc... C'était toute la Colombie qui semblait touchée... Se dirigeant vers Bogota, il aperçut un hélicoptère volant juste au dessus de sa tête. Mais le chaos de bois mort obstruait le champ de vision de l'engin, qui ne s'attarderait pas... Sauf qu'il s'attarda, alerté par un tir d'arme à feu, initié par Paolo Amador.
Après s'être fait tirer dessus par les membres de l'hélicoptère, Paolo fut récupéré... L'équipage ne comptait aucun Colombien, ce qui était mauvais signe. Tous portaient une tenue-uniforme sur lequel on pouvait apercevoir un étrange sigle, sauf un, recouvert d'une chemise souillée et d'un pantalon déchiré. Il était blanc, comme les autres, mais n'avaient pas la carrure des soldats. Il lui expliqua qu'il était ornithologue, suisse et à moitié aveugle. Il avait perdu ses lunettes pendant la catastrophe, et son séjour dans la jungle avait achevé sa vue fragile.
Paolo compatit, et — peut-être était-ce son état de manque ou sa prise de conscience tardive — il pleura, il pleura comme un gosse pendant tout le trajet.
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Une fois sortis de l'hélico, on les emmena sur ce qui semblait être un port, un bateau sur place. Les soldats au sigle étrange avaient beau l'être, étranges, il fallait avouer qu'il régnait ici une sacrée organisation. Une organisation inquiétante. Ses soupçons s'envolèrent lorsqu'il remarqua un groupe de Colombiens bien vivants. Merci mon Dieu, se dit-il, poussé avec d'autres dans la cale.
Le voyage fut d'autant plus violent pour l'ancien guérillero que la nourriture était rationnée par les soldats au sigle, qu'il mangeait beaucoup plus que de coutume et qu'il ne semblait plus se soucier d'autre chose qu'une dose de coke.
Sevré et débarqué sur une plage qui n'avait pas de grandes différences d'avec celle de Bogota, il essaya de sortir de la foule compacte des survivants pour chercher un responsable, ou quelqu'un qui pourrait lui apporter un semblant de réponse, du moins une explication plus concrète que "Ils sont tous morts ! Mon fils Vinzo ! Dios Mio ! Aaah !".